Film de Claude Lelouch, 1966
avec Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant
L’histoire
Anne, secrétaire de plateau de cinéma, ne peut oublier son mari, cascadeur, mort dans un accident. Jean-Louis, coureur automobile, est également veuf. Ils ont tous les deux la trentaine et un enfant. Ils se rencontrent à l’internat de Deauville où ils laissent leurs enfants.
Le cadre général du film
L’atmosphère du film oscille entre Neuf et Cinq. D’une part, le film est d’une douce lenteur, d’autre part, les dialogues sont minimalistes :
. « Je ne connais pas votre téléphone. »
. « Montmartre 15 40. »
. « Bonsoir . »
. « Bonsoir. »
Le scénario tient en quatre lignes et pourtant, le film tient toujours, même s’il a, quarante ans après, quelque chose d’un peu désuet. En revanche, l’intimité du sous-type en tête-à-tête est omniprésent.
Le profil Ennéagramme Cinq
Jean-Louis parle peu, pose des questions directes, ne s’offusque pas quand il n’obtient pas de réponse. Le silence n’est pas gênant, au contraire. Il a une sorte de maladresse dans l’expression verbale. Quand il doit passer un coup de fil pour formuler sa demande d’un premier rendez-vous, il demande à la standardiste de ne le lui passer que dans cinq minutes… histoire d’avoir le temps de se préparer.
Sa demande d’aller plus loin dans la relation va passer par toutes sortes de messages intimistes, plutôt que par des déclarations verbales : regard, deux doigts sur le dossier d’une chaise et le dos d’Anne qui effleure sa main… Il s’arrange pour que s’installe une proximité tendre, dans la plus grande économie de mots possible :
« Je ne serai pas là la semaine prochaine. Je pars faire le rallye de Monte-Carlo. Mais, à mon retour, je fais Montmartre 15 40. »
« Je voudrais la note du 41, et aussi les horaires des prochains trains pour Paris. » Essayez de faire passer la même information en moins de mots, c’est difficile !
« Où est-ce que je vous dépose, à Paris ? »
« Rue Lamarck »
« Où est-ce la rue Lamarck »
« Dans le XVIIIe »
Quand il doit rompre avec sa précédente conquête, il n’arrive pas à lui parler directement. Alors, il va faire parler le journal. Il va lui annoncer qu’il a rencontré quelqu’un ce même jour à Deauville en faisant comme si c’était écrit dans le journal. Cela réduit son intensité émotionnelle qui pourrait devenir débordante, s’il devait parler à la première personne en commençant ses phrases par « Je » : « Jean-Louis Duroc a rencontré aujourd’hui à Deauville une jeune Parisienne… »
Quand on le voit piloter sa voiture de rallye ou énoncer les virages à son coéquipier, les mots tombent avec concision et froideur : « Gauche serré… ». Ce n’est pas tant le raccourci des mots qui surprend dans ces circonstances, que le ton, qui pourrait faire penser à la rigidité du point Un.
À plusieurs reprises, quand il est seul sur la route, on entend ce qu’il se raconte mentalement. Il fait des scénarii sur ce qu’il va advenir. Schéma classique de dialogue intérieur des profils Cinq-Six-Sept qui se font des films dans leurs têtes, inquiets de ne pas pouvoir connaître à l’avance, le futur proche.
Le profil Ennéagramme Neuf
Il y a de la langueur chez Anne, une sorte de douceur tranquille. Par ailleurs, sa gestion du temps est relative :
« En général je ne suis pas très précise, il arrive que je rate le dernier train pour Paris. »
. « Et alors ? »
. « … Je dors à Deauville. »
C’est comme ça ! Un côté un peu fataliste. D’autres profils seraient furieux ou contrariés ou inquiets. Là, rien d’autre qu’une tranquille acceptation de la chose.
Pour elle non plus, les silences ne sont pas gênants. Là encore, c’est comme ça, elle fait avec. Quand elle ne veut pas répondre, elle ne répond pas. Pas grave…
« Que fais donc votre mari ? »
. … Silence…
Autre stratagème Neuf : répondre « Oui » en faisant comprendre que la réponse est plutôt « Non » :
. « Vous avez entendu parler d’Ascari ? »
. « Euh… oui…. Je crois… »
C’est dit si gentiment que l’on comprend bien qu’elle ne connaît pas Ascari, qu’elle a du mal à dire non, et qu’elle est disposée à ce qu’il poursuive.
Dernier subterfuge Neuf pour ne pas répondre directement :
. « Pourquoi pensez-vous que l’on ne prend pas le cinéma au sérieux ? »
. « Je ne sais pas, moi, peut-être parce que… »
Dans les dialogues, comme dans son attitude générale, il y a une certaine passivité. Elle laisse l’autre prendre les initiatives. Plus suiveuse et complice que génératrice de l’impulsion.
Autre indice Neuf : la difficulté à choisir, à cerner la priorité immédiate. Au restaurant, devant la carte, elle hésite longuement puis, finalement lui demande à lui : « Je ne sais pas, qu’est-ce que je prends ? »
Les sous-types Ennéagramme
Deux options. Soit on considère qu’il s’agit de sous-types survie dans une situation exceptionnelle de « tomber amoureux » qui a toutes les caractéristiques du tête-à-tête. Ou, on considère qu’il s’agit de sous-types en tête-à-tête. Son métier à lui : pilote de course laisse les deux options ouvertes.
S’il est d’un sous-type survie, il va apprécier son métier pour le rapport aux sens : la sensation du vent sur son visage, le bruit du moteur qui feule, les vibrations de la voiture qui se transmettent à son corps, la lumière de la nuit, celle du petit matin, l’odeur de l’huile chaude. Les détails techniques vont l’intéresser : carburateur…
S’il est en tête-à-tête, il va aimer son métier pour l’intensité, pour ces moments rares qui font battre le cœur, pour alimenter le côté narcissique, conscient qu’il exerce une profession hors du commun.
Il y a en lui une sensibilité fine, quelque chose de délicat. Qui est de l’ordre de la base Cinq ou du sous-type en tête ?
Plus généralement, il y a ces regards denses et une certaine vivacité pimpante par moments qui ferait plutôt penser au tête-à-tête.
Pour Anne, il y a beaucoup plus d’éléments « Union/Fusion » propres au tête-à-tête que d’éléments survie de « l’appétit ». Exemple :
. « J’ai passé une semaine au Brésil sans jamais y avoir été. » En fait son mari revenait du Brésil et il lui a fait vivre l’ambiance de là-bas, via la Samba et autres récits folkloriques. En clair, elle a fusionné avec ce qu’il lui racontait de là-bas. Ella a été capable de s’abandonner à l’ambiance qu’il décrivait. Ne plus faire qu’un avec.
Ce qui m’a touché
- Les images. On ne filme plus comme ça aujourd’hui. Il y a une saine alternance des plans rapprochés qui donnent de l’intimité avec des plans plus lointains pour faire comprendre la situation.
- Le rapport à l’intimité. Sur la plage, dans le restaurant, dans la chambre, dans la voiture. Une proximité charnelle sans même se toucher. Quelque chose de délicat, de prude, au-delà des mots.
- La description de ces deux êtres qui sont encore bien fragiles à l’intérieur, alors qu’ils donnent l’impression d’assurer normalement à l’extérieur.
- Le tempo, parfois insoutenable de lenteur, dans lequel l’épaisseur de l’émotion va pouvoir s’incarner.