Jeanne d’Arc
Film de Luc Besson, 1999
avec Milla Jovovich, Dustin Hoffman, John Malkovitch
Âmes sensibles, s’abstenir, ce film est assez violent. Une bonne partie de cette violence aurait probablement pu être éludée sans amoindrir l’intérêt du film. Cooptés pour donner leur avis sur ce choix, les représentants de ce profil ont finalement choisi de le garder pour illustrer le Six tête-à-tête, car il aborde nombre de caractéristiques Six que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Notamment la dualité Force/Beauté qui apparaît rarement avec une telle intensité qu’ici.
1420. Henri V, roi d’Angleterre, et Charles VI, roi de France, signent le traité de Troyes. Ce traité stipule que le royaume de France appartiendra à l’Angleterre à la mort du roi. Mais les deux rois signataires meurent à quelques mois d’intervalle. Henri VI, nouveau roi d’Angleterre, n’est âgé que de quelques mois. Charles VII, Dauphin de France, n’a aucune envie d’abandonner son royaume au profit d’un enfant. Une guerre sanglante éclate, les Anglais et leurs alliés bourguignons envahissent la France.
Le début du film aborde le contraste entre l’insouciance naturelle de Jeanne, âgée de sept ou huit ans, et la violence soudaine, imprévisible du monde extérieur. En cette période, la vie est rude : le matin tout est calme, un petit tour dans la forêt et, au retour, le village a peut-être été saccagé, pillé et les habitants trucidés. Cette violence soudaine, qui génère de l’insécurité, est une des caractéristiques du Six. Il ne l’a pas forcément vécu dans des circonstances aussi dramatiques que celles du film, mais c’est une constante chez les Six : le monde extérieur, a priori, est dangereux. Cette croyance donne souvent au Six une certaine violence intérieure, aussi. Un côté chat écorché vif susceptible, prêt à en découdre.
Jeanne a des visions. Elle reçoit des messages. Des messages de Dieu. Le film pose la question de savoir si Jeanne est une Sainte inspirée ou une pauvre fille qui se fait des films dans sa tête. On aborde ici, une autre caractéristique Six : puisque l’environnement extérieur n’est ni stable ni sécurisant, il faut rester sur le qui-vive, développer des petites antennes intuitives pour déceler le danger avant d’être attaqué. Jeanne a les siennes, dans sa dimension spirituelle, mais tous les Six ont, plus ou moins, développé des signaux d’alerte à leur façon. Le film souligne bien cette caractéristique quand, débarquant dans la grande salle du château pour sa première entrevue avec le Dauphin, il se camoufle pour tester ses dons et voir si elle sera capable de le reconnaître parmi tous les hommes présents. Et Jeanne le trouve. Nous avons tous entendu cette histoire à l’école, mais la mise en scène du film souligne bien cet événement.
Jeanne est pieuse. Jeanne a la foi. Foi en Dieu, foi en sa mission. Et cette foi va être galvanisée, démultipliée par son sous-type en tête-à-tête. Le sous-type en tête-à-tête permet de concentrer toute son attention sur un seul support. Et dans le cas de Jeanne, cette aptitude se transforme en laser. En français, on parle de charisme. Ce mot est un peu fade, ici. Jeanne est lumineuse, sa foi la transcende. Dans ce pays malmené, soumis à l’envahisseur sur la majorité de son territoire, la plupart des habitants courbent l’échine, épuisés de tant de malheurs répétés. Et Jeanne va leur redonner l’espoir. Son charisme va faire des miracles dans le moral des troupes et dans les prises de risques sur les champs de bataille.
Jeanne a une mission. Bouter les Anglais hors de France et faire sacrer Charles VII à Reims. En clair, oeuvrer pour ramener la paix et la sécurité dans le royaume. Nous sommes toujours en territoire Six. Autre indice : quand il s’expose, le Six le fait rarement pour lui. On peut débattre sur Jeanne d’Arc, mais tout le monde semble d’accord sur le fait qu’elle n’a jamais agi pour sa petite gloire personnelle. Le Six va se battre pour une cause, pour un projet. Jeanne va se battre pour sa croix et pour son étendard.
Jeanne a le sens de la répartie. Cela aussi fait partie de l’histoire. Pour quelqu’un qui ne savait ni lire, ni écrire, les rapports du procès avalisent ce point. Lors du procès, justement, les juges demandent à Jeanne comment elle peut prouver qu’elle est bien la missionnée de Dieu qu’elle prétend être : « Je ne suis pas venue pour faire des tours. Vous êtes tous beaucoup plus intelligents que moi. Vous doutez que ce soit Lui qui ait guidé mes pas, sur près de 500 lieues, en territoire ennemi, pour vous apporter Son appui. Est-ce que cette preuve vous suffit ? ». Plus tard : « Jurez sur les Évangiles de dire la vérité. » « Non. Je ne sais pas ce qui va m’être demandé. Vous pourriez me poser des questions auxquelles je ne pourrai pas répondre. » Nous sommes en plein cœur du Six : croire ? Avoir la preuve ? Faire confiance ?
Jeanne va être trahie. Ignominieusement. Par celui qu’elle a contribué à faire sacrer roi, Charles VII. Selon les versions, il va, au mieux la laisser tomber, au pire s’en débarrasser en la faisant capturer par l’ennemi. Inutile de préciser que de tels agissements accroissent l’incertitude du Six. Preuve est faite, ici, de leur point de vue, que l’on ne peut faire confiance à personne…
La dernière séquence du film nous montre Jeanne dans sa prison. En tête-à-tête avec sa conscience. La mise en scène est un peu grandiloquente, mais elle exprime bien le dialogue intérieur du Six : « Mes voix étaient-elles de véritables informations ou des projections de mon esprit ? Ai-je agi par loyauté ou par peur ? »
En fermant les yeux aux moments des scènes les plus violentes, le film est quand même visible. Milla Jovovich signe une interprétation inoubliable dans ses ambivalences courage/timidité, confiance/méfiance, meneur/suiveur, intuition/projection et l’image du Six en ressort grandie.