le-colonel-chabert-v2Le Colonel Chabert

Film de Yves Angelo, 1994

avec Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Fabrice Luchini

1807, Bataille d’Eylau. Le Colonel Chabert, l’un des officiers préférés de l’empereur, est officiellement déclaré mort au champ d’honneur. Dix ans plus tard, il reparaît à Paris et exige la restitution de son nom, de son rang, de sa fortune… et de sa femme ! Mais cette dernière, riche et remariée au comte Ferraud, n’entend pas renoncer à tout pour un homme qui n’a même pas la preuve de son identité ! À la demande de Chabert (Gérard Depardieu), le notaire Derville se met en piste et décide de démêler l’intrigue.

Le rôle de Fanny Ardant, la comtesse, est un rôle de Quatre social. Mais, plus encore, c’est tout le film qui tourne autour du dilemme de la honte sociale. Le Colonel est dans la honte d’avoir tout perdu. Lui, un des plus hauts personnages de l’armée, donc de l’État, se retrouve SDF, sans argent, sans vêtement, sans nom, sans relation. Et tout le monde préfère se taire et l’ignorer plutôt que de croire à son histoire. Ce serait socialement compliqué, (scandaleux ?) que de le reconnaître dans ses droits. Cela créerait des ondes de choc sociales, des sous-groupes de pour et de contre. Non, mieux vaut ne pas s’impliquer dans cette histoire.

Le rôle du comte (André Dussollier), est plutôt un rôle de Trois social. Il cherche à entrer à la première assemblée nationale, pour le prestige, plus que pour l’argent. Cette nomination se fait par relations. Tout son cursus plaide pour lui, mais l’histoire et la réputation de sa femme sont marquées comme ayant été trop proches de l’empereur, en d’autres temps. Et ça, ce n’est pas bien vu du tout ! Or, à cette époque, le divorce est entré dans les mœurs. S’il venait à quitter son épouse pour se remarier avec quelqu’un de davantage « socialement correct », il n’y aurait plus d’obstacle à sa nomination…

Au fur et à mesure du film, les motivations  de Chabert deviennent plus ambivalentes. Il est le seul personnage du film à ne pas être d’un sous-type social. Après avoir été physiquement et psychologiquement gravement blessé, il n’est même pas sûr d’aspirer vraiment à ce qu’il demande. Il est descendu si bas dans l’échelle sociale, qu’il se contenterait du minimum : la restitution de son nom. Il est également dans la honte de ne même pas être reçu par son ex-épouse qui ne veut pas le voir.

Fanny Ardant, la comtesse, est amoureuse de son époux, le comte Ferraud, et des activités sociales qu’ils peuvent avoir ensemble : réceptions, invitations, concerts. Elle l’aime, comme elle aime son titre de comte et la vie sociale qu’ils partagent ensemble. Avant même que Chabert ne réapparaisse, elle décèle néanmoins que la future carrière sociale de son époux compte davantage pour lui que sa vie de couple. Avec l’arrivée de Chabert, elle est coincée. Si elle restitue à Chabert ce qu’il veut : son nom, elle augmente la fragilité de son couple actuel. (Si tout cela vous paraît compliqué, c’est normal. Nous sommes là dans les méandres des considérations sociales. Un monde plus complexe, plus sophistiqué et plus stratégique que les territoires de la survie ou du tête-à-tête.)

Le rôle de Derville (Fabrice Luchini), le notaire, serait plutôt un rôle de Six social qui va prendre fait et cause pour la « victime qui n’a rien » contre les « puissants qui ont tout ». Il fait ce choix beaucoup plus sur un coup de tête intuitif que sur des motivations logiques. Il va proposer à la comtesse un marché : elle donne de l’argent, beaucoup d’argent et Chabert renonce à faire valoir ses autres droits. Le film raconte les tractations, les enjeux autour de cet homme qui est dans la honte de n’avoir plus rien et de cette femme que la peur de la honte sociale va pousser à bien des extrémités.