Il y a 25 ans, Helen Palmer et David Daniels créaient leur Programme de Formation Professionnelle à l’Ennéagramme. Peter O’Hanrahan les rejoignait rapidement et, à eux trois, ce programme fut exporté sur quatre continents. En Asie, l’expansion est considérable et touche de nombreux pays, dont la Chine. Par le hasard des rencontres et grâce à plusieurs certifiés du CEE, ce programme va bientôt exister en Afrique : le Maroc à l’automne et Maurice en février, pour commencer. La Tunisie devrait suivre. Nous en reparlerons dans d’autres éditos. Parallèlement, Mahalia, jeune certifiée du CEE a transmis l’Ennéagramme dans une prison africaine et témoigne ici de sa peu banale expérience :
“J’ai entrepris ma formation en Ennéagramme en parallèle avec mon travail dans une prison d’Afrique Centrale. J’avais envie d’être plus proche de moi-même et, par conséquent, des autres. Très vite, j’ai ressenti l’utilité de ma formation certifiante au CEE au niveau professionnel : grâce à elle, je pouvais aller plus loin dans les projets éducatifs que je menais auprès des adolescents délinquants dont j’avais la charge. Je trouvais aussi cet outil particulièrement adapté dans un contexte où la transmission orale est culturellement enracinée. Grâce à l’Ennéagramme, j’allais pouvoir expérimenter une autre voie de dialogue, d’échange et, je l’espérais, d’ouverture au respect dans un univers où la violence a si souvent le dernier mot.
J’ai commencé par en parler aux jeunes et par recevoir leurs réactions. Ce que je pouvais leur apporter, ce que nous pouvions construire ensemble et ce qui pourrait changer en eux et pour eux. J’ai sélectionné les plus motivés d’entre eux, ce qui a aboutit à un groupe d’une vingtaine de garçons, âgés de 14 à 20 ans, parmi ceux ayant la peine la plus longue à purger.
J’ai commencé par apporter des crayons de couleur, pour proposer l’exercice du blason. Ce que leurs dessins disaient d’eux-mêmes les amusait et nous a permis d’instaurer un climat de confiance. J’ai ensuite commencé les entretiens, de façon plus ou moins informelle, en adaptant les questions à leur réalité et en donnant à chacun un temps d’écoute de soi mais aussi des autres.
Peu à peu, certains ont commencé à décoder la logique des thèmes abordés, l’agencement des questions, pour en parler ensuite entre eux, s’émerveillant ou se taquinant de leurs points communs et de leurs différences. Pour rendre les choses plus évidentes, je leur ai à chaque fois illustré la caricature de chacun des neuf types avec ses bons et ses mauvais côtés. Je me suis toujours efforcée de transmettre cette information avec un respect tissé de tendresse permettant à chacun de se retrouver dans certains traits illustrés sans s’y sentir enfermé. La parole était ensuite donnée à tous ceux qui le souhaitaient, pour exprimer leur ressenti par rapport à ce que je venais de leur montrer.
La « salle de classe » (hangar bétonné ouvert à tous vents où nous étions le plus souvent assis à même le sol) a pu ainsi, tout naturellement, s’organiser selon leurs propres impulsions, et finalement créer des groupes d’émotifs, de mentaux et d’instinctifs. C’est en les voyant ainsi éparpillés et en sentant l’énergie qui se dégageait de cet agencement que j’ai eu l’idée de dessiner au sol un immense Ennéagramme, en leur demandant de se l’approprier. Certains ont tourné tout autour en dansant, d’autres se sont agenouillés pour l’inspecter de plus près, d’autres encore se sont assis sagement devant leur numéro, en attendant la suite. Je les ai alors groupés par type, en me plaçant moi-même au centre du dessin et en leur racontant une histoire (inventée au préalable, en m’appuyant sur les divers ingrédients qui rendent les querelles autour des histoires de sorcellerie si croustillantes en Afrique…) dans laquelle il y avait autant de problèmes que de solutions à trouver. J’avais aussi introduit dans l’histoire des passages potentiellement explosifs pouvant culturellement dégénérer en conflits… physiques.
J’ai conclu en désignant ma place comme celle qu’ils seraient amenés à occuper en tant que conseiller du chef du village, en-dessous d’un arbre à palabres imaginaire. La consigne était de se consulter strictement entre membres du même profil et de venir ensuite présenter au reste du groupe la solution la plus adaptée de l’avis de chacun. Ce fut une expérience très forte de ressentir ce que chacun sentait devoir dire de son approche du problème. Au fur et à mesure que les types se succédaient, en ordre numérique, le silence se faisait plus intense et respectueux. L’apothéose fut le passage des Neuf, conservés pour la fin et qui ont su rendre hommage à chacun de leurs prédécesseurs.
Cette expérience, je l’ai ensuite reproduite, en ciblant de plus en plus des problèmes réels et quotidiens, source en eux de grandes souffrances. À ma surprise et à ma joie, le processus d’écoute, d’accueil de l’autre et de respect a été grandissant. Nous sommes passés doucement du jeu à la réalité et de la salle de classe aux cellules. Depuis, j’ai quitté cette mission en Afrique mais, par des échos qui me parviennent, je sais que certains de ces jeunes utilisent encore l’Ennéagramme aujourd’hui pour soulager leurs tensions et prendre du recul, alors que nos ateliers ont cessé depuis plusieurs mois.”