Ce mois-ci, deux ouvrages en parallèle :

« Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne et

« Une histoire de France » d’Alain Minc, actuellement dans toutes les librairies.

Je vous propose une opposition de style entre sous-type survie et sous-type social. Bien sûr, les deux exemples sont un peu extrêmes, mais le contraste est bien marqué entre deux champs de préoccupations bien différents.
Dans « Vingt mille lieues sous les mers », les thèmes de survie sont exacerbés : le territoire, la nature, la nourriture. Les préoccupations tournent autour d’ « exister par soi-même ». Dans « Une histoire de France », les thèmes sociaux sont omniprésents : des hommes s’allient, se battent, négocient, se conforment aux traditions, aux us et coutumes sociaux ou… les combattent de toutes leurs forces ; les préoccupations sont plus orientées vers« exister au regard des autres ».
Alors, dit comme cela, en quelques mots, cela ne va pas nous avancer beaucoup. Mais pour ceux qui trouveront le temps de se laisser imprégner par ces deux ouvrages, il y de nouveaux repères à gagner pour mieux différencier la saveur de ces  deux sous-types.

Bonne lecture !

Profil Cinq sous-type survie

jules-vernesVingt mille lieues sous les mers de Jules Verne

(Édition de Jacques Noiray, Folio Classique, 7,40€)

Considéré comme le chef d’oeuvre de Jules Verne, ce livre est à la fois un roman d’aventures, un récit de voyage et un documentaire géographique et scientifique. Même si certaines descriptions sont un peu longuettes, le livre n’a pas vieilli et se lit facilement.

L’histoire

Meurtri par la société, un ingénieur décide de se retirer du monde dans un sous-marin. Les deux héros sont cet ingénieur, le Capitaine Nemo, et le Professeur Aronnax, Professeur au Muséum de Paris.
L’objet même du roman a une connotation Cinq. Le contrat de Jules Verne consistait à diffuser une connaissance : celle résultant des grandes découvertes scientifiques dues notamment aux grands voyages maritimes des années 1750 à 1850 appelées alors les « explorations géographiques », jalonnées des noms de Cook, La Pérouse, Bougainville, Dumont d’Urville… Ce livre s’inscrira dans la collection « Voyages Extraordinaires » avec Voyage au centre de la terre et Cinq semaines en ballon. L’ouvrage a un double objectif : séduire le lecteur, de plus en plus instruit grâce au développement général de l’instruction publique et suivre l’intérêt grandissant pour les sujets de vulgarisation scientifique. En effet, en cette fin du XIXe siècle, on est en plein culte du progrès scientifique et technique, dans le désir de maîtriser et de mettre en valeur le globe.
Jules Verne ne va pas lésiner sur l ‘étendue des sciences naturelles abordées : ichtyologie, botanique, hydrographie, géologie, météorologie… Tout y passe : le vent et ses différentes formes, les courants et leurs conséquences sur le climat, faune et flore, l’étude des composants de l’eau de mer à différents endroits du globe, la géographie des fonds marins…
Nous sommes en plein territoire Cinq, ici : la connaissance est respectable, elle doit être transmise à ceux qui ont envie de la recevoir. De plus, la connaissance est synthétisée pour être accessible au plus grand nombre. On va retrouver ce trait chez la majorité des Cinq : quand ils se sentent réellement écoutés, ils deviennent passionnants, voire émouvants dans ce qu’ils partagent de leur savoir.
Jules Verne a dû faire attention à ce que cette connaissance ne puisse pas être remise en question. Aussi, même s’il s’agit d’un roman, il fallait que l’aventure soit plausible scientifiquement. Et, aux dires des experts de l’époque, mis à part l’approvisionnement électrique qui demeure flou, le reste de la conception, et de la vie du sous-marin est scientifiquement correct.

Autre argument

Le retrait. Non seulement le capitaine Nemo est retiré du monde, par le fait de vivre dans un sous-marin, mais il est également peu visible par ses invités qui co-existent avec lui, dans ce sous-marin. Ce retrait, cette mise à distance du monde extérieur, lui permet de pouvoir réfléchir et apprendre dans de bonnes conditions :
P152 : « Capitaine Nemo, je suis vraiment émerveillé par votre bibliothèque, quand je songe qu’elle peut vous suivre au fond des mers. »
– « Où trouverait-on plus de solitude, plus de silence, monsieur le Professeur ? »

Divers

Le thème survie est un cas d’école, ici : une aptitude à pouvoir vivre seul, une relation particulière avec la nature, avec la notion de territoire…
Le Cinq se retrouve dans lé désir de « comprendre comment ça marche ». Vous n’allez pas être déçu : entre Nemo et le Professeur du Muséum, on va tout vous expliquer ! Autre élément : la compartimentalisation. Quelle meilleure métaphore qu’un sous-marin pour aborder cette capacité du Cinq à subdiviser ses sentiments, ses connaissances et ses relations en cloisons étanches, à volonté.

Ce qui m’a touché

Même s’il est meurtri, ou plutôt parce qu’on le sent meurtri, le Capitaine Nemo a un côté sympathique. En fait, il nous parle de la sensibilité du Cinq qui, sous des airs distants, peut livrer des émotions en se cachant derrière les mots : « Tout homme, par cela seul qu’il est un homme, vaut qu’on songe à lui. » ou : «  Personne n’est supérieur à un homme généreux et bon. »
Les translations des flèches, aux points Sept et Huit sont également présentes. Il y a des pointes d’humour, comme lorsque le serviteur du Professeur lui demande si le livre qu’il a entre les mains est intéressant. Le Professeur répond : « Je le crois » et le serviteur découvre alors que le Professeur est en train de lire un livre qu’il a lui-même écrit : « C’est le livre de Monsieur que lit Monsieur ! »

Bonne lecture !

Profil Cinq sous-type social

alain-minc-livreUne Histoire de France, d’Alain Minc

(Édition de Jacques Noiray, Folio Classique, 7,40€)

Le livre

De Vercingétorix jusqu’à aujourd’hui, Alain Minc nous raconte une histoire de France qui surprend et séduit. Promeneur de l’histoire, il s’autorise à illustrer le passé par le présent en de saisissants rapprochements (Louis XI était-il Mitterrandien ?), à établir sa propre hiérarchie des « nœuds », des points de bascule de notre roman national…

Le profil Cinq n’est pas flagrant, dans un premier temps. Puis, petit à petit, des indices apparaissent : une capacité d’analyse et de synthèse impressionnante, une faculté à considérer les éléments de l’histoire avec une intelligence non chronologique, plutôt concise ; une sensibilité fine, une mise en mots délicate, une capacité à prendre du recul par rapport aux faits pour mieux les considérer « à froid » d’un peu plus loin. Mots simples, contenu compact : page 60 : « Cette France, à l’étroit et donc menacée, a la chance de voir arriver à sa tête, au moment opportun, un roi hors pair. Philippe Auguste sera le premier grand Capétien, ses prédécesseurs ayant davantage maintenu que conquis, administré que réformé, géré que transformé. Sacré en 1180 à l’âge de quinze ans, il peut se réclamer autant du lignage carolingien par sa mère que du fil capétien. »

Le sous-type social est, lui, évident depuis la première ligne : « Que seraient devenues la Gaule et donc la France si Vercingétorix avait triomphé des Romains ? » est une question « sociale ». Il n’est pas question ici de survie, de sueur, d’énergie, de faim, de soif, de vie ou de mort, mais d’un « carrefour » qui aurait pu changer le cours de l’histoire…
Le sous-type social s’intéresse aussi aux groupes, aux stratégies, à la politique. Exemple, page 45, en l’an 970 : « Lothaire n’a pour exister qu’une seule stratégie : jouer un tuteur contre un autre. C’est un pari politique intelligent. Il suffirait qu’Hugues le Grand disparaisse avant lui pour lui redonner de l’espace. Cette stratégie n’est pas loin de réussir, car Hugues meurt en effet le premier. Habile animal politique, Lothaire essaie de réaffirmer son pouvoir, profitant de l’inexpérience du fils d’Hugues le Grand, Hugues Capet. Où sont les enjeux, hier comme demain ? À L’Est. Où se conquiert la gloire ? À l’Est…. Aussi se lance t-il dans une aventure folle : se saisir d’Aix et s’emparer de la couronne impériale…»

Association du profil Cinq et du sous-type social

Il est question de totems, c’est-à-dire d’événements significatifs qui représentent les carrefours d’une société. Par exemple, les Croisades, page 58 : « Dans un univers aussi fragmenté que la France des XIème et XIIème siècles, un phénomène de l’ampleur des Croisades entraîne un bouleversement social. La légitimité morale des chevaliers se renforce, mais leur place dans la société s’étiole. » Autre exemple, page 62 : « Bouvines est la première victoire mythique des armées françaises. La guerre jusqu’alors demeurait une affaire réservée au monde des princes, des comtes et des chevaliers ; elle s’identifie désormais à un enjeu national que les bourgeois et le peuple font leur. Une bataille n’est plus, dès lors, un tournoi grandeur nature. C’est l’affrontement indirect de plusieurs pays et de multiples légitimités. Or, le 27 juillet 1214, Philippe Auguste triomphe, mettant en charpie l’armée de ses ennemis. D’aucuns datent la naissance du sentiment national de l’écho incroyable que suscite partout en France cet événement. »
L’un et l’autre de ces deux événements sont des totems, des repères culturels et/ou historiques, des jalons dans l’histoire.
Le Cinq sous-type social a également la faculté de surfer dans l’espace et dans le temps. Exemple, page 103, à la fin du chapitre sur Jeanne d’Arc et la guerre de cent ans : « Mais pendant que Français et Britanniques sont encore prisonniers de leur guerre séculaire, l’Histoire se joue ailleurs. Les Turcs s’emparent en 1453 de Constantinople et s’installent de plain-pied en Europe… »
Depuis plusieurs dizaines de pages, l’auteur nous a centré sur la France et l’Angleterre, sur l’Anjou et le Poitou… Notre attention est géographiquement focalisée sur une région. Et brusquement, dans sa vision large de l’espace et du temps, il nous prend par surprise en relativisant un fait de l’histoire comme la fin de la guerre de cent ans (une paille !) par un autre événement localisé ailleurs.

En quoi ce livre m’a touché

Il est clair et se lit facilement. J’aime son style compact. J’apprécie surtout l’implication de l’auteur. D’autres auraient certainement eu la tentation de se concentrer sur le point de vue stratégique, l’analyse autant mentale que froide. Ici, l’auteur laisse souvent émerger des émotions : « L’obsession d’être pris en tenailles… », « Furieux, Richard part dès son retour à l’attaque… », « Violent, fou, personnage shakespearien avant Shakespeare… ». Vaste fresque colorée et émouvante, cet ouvrage offre une écriture libre, celle d’un homme qui ose prendre le risque d’écrire sa version de notre histoire.