Comme Richard Rohr, certains auteurs de livres sur l’ennéagramme choisissent de ne pas donner d’appellations aux neuf bases et préfèrent n’utiliser que les chiffres comme référents. Pourquoi pas ? Dans l’ennéagramme, toute vérité est relative, il n’y a que des perspectives différentes. Jusque-là, tout va bien. Mais certains animateurs prétendent détenir la vérité en procédant ainsi, évoquant une légitimité historique ou autre. Et là, aïe, aïe, aïe ! D’une part, toute réflexion binaire, comme bien ou mal, raison ou tort ne me semble pas cohérente avec l’esprit de l’ennéagramme. Il y a, aujourd’hui en France, mille et un animateurs qui utilisent mille et une méthodes et c’est comme ça…
D’autre part, il y a l’histoire de l’ennéagramme. Sans remonter bien loin, plusieurs éminentes figures de l’ennéagramme du XXe siècle utilisent des mots-clé pour définir fixations des bases. À l’origine, le principe de Gurdjieff : « Nommer le diable, pour mieux le chasser ! ». Suit Ichazo, qui, dans le même état d’esprit, utilise les expressions suivantes :
1. Ego-ressentiment
2. Ego-flatterie
3. Ego-vanité
4. Ego-mélancolie
5. Ego-pingrerie
6. Ego-couardise
7. Ego-plannification
8. Ego-vengeance
9. Ego-indolence
Ces données deviendront publiques pour la première fois dans le livre Transpersonal Psychologies de Charles Tart en 1983 (Ed. Psychological Processes). Même s’il s’agit de nommer les fixations cognitives de chaque profil, pas vraiment rigolotes, ces appellations ! Certes, mais l’esprit est là : l’ennéagramme n’est pas un jouet, une de ses vocations est un travail sur l’ego, sur son travers principal. Nommer sa zone d’ombre et devenir plus conscient de ses automatismes. Et là, tout le monde semble d’accord : pas d’évolution possible tant que le « ma déviation principale » n’a pas été clairement nommée et identifiée.
Claudio Naranjo, dans la préface de son merveilleux livre Ennea-type Structures, (Pourquoi ce livre n’existe t-il pas en français ?) propose un très long passage sur le débat des appellations. Extrait page VII : « L’accent sera mis quelque peu différemment si l’on choisit des noms pour les fixations en vue de l’identification revendiquée par Ichazo entre ces dernières et les “traits principaux” (chief features) de chaque type de personnalité. Les mots dans la figure V sont adaptés aux deux définitions de “fixation” : ils sont adaptés pour définir le trait le plus flagrant dans la structure de caractère correspondante et ils peuvent être compris comme étant inséparables de l’opération cognitive.
Ainsi « tromperie » pour le Point Trois de l’ennéagramme implique l’idée d’auto-tromperie autant que celle de faire semblant vis-à-vis des autres, et une confusion cognitive entre ce qui est le cas et ce qui est affirmé comme étant la vérité. »
Claudio Naranjo débat du nom principal qui pourrait le mieux illustrer la fixation de certains types. Page VIII : « Dans ces caricatures, on pouvait voir que l’ennea-type Un est non seulement débordant de ressentiments, mais il est également représenté comme un alpiniste animé du désir d’aller plus loin” (d’essayer plus fort). Je le nomme généralement le “perfectionniste”, bien qu’il s’agisse là d’un mot avec lequel d’autres, en particulier l’ennea-type III, peuvent également s’identifier. » Dans ce livre, Naranjo va faire le choix d’utiliser deux mots plutôt qu’un pour présenter les neuf types :
1. La vertu de la colère
2. La générosité égocentrique
3. La réussite par les apparences
4. La recherche du bonheur à travers la douleur
5. La recherche de la plénitude par l’isolation
6. Le persécuteur persécuté
7. L’idéalisme opportunisme
8. Donner une impression de force
9. Aller avec le courant
Helen Palmer choisira de nommer les neuf profils de l’ennéagramme. On peut argumenter sur le choix des noms. Mais quel que soit le nom, dans son livre : « L’ennéagramme pour mieux se connaître et comprendre les autres » qui devrait ressortir en juin, Helen dresse une description sans concession de chacun des neuf profils. Les noms qu’elle utilise ont évolué avec le temps :
1. Le Perfectionniste
2. L’Altruiste
3. Le Battant
4. Le Romantique
5. L’Observateur
6. Le Loyal
7. L’Épicurien
8. Le Protecteur
9. Le Médiateur
Comme pour Claudio Naranjo, pour Helen Palmer, l’important n’est pas tant le nom de baptême en lui même que le fait que ce nom fasse d’abord faire référence à la fixation ou au travers principal.
Un de mes amis, Norbert Mallet, animateur Ennéagramme et professeur de philosophie, me disait un jour : « En fait, c’est la notion de à tout prix qui éclaire le plus chacun des profils. » Si on reprend cette idée avec les noms d’Helen Palmer, cela donne :
1. Celui qui veut être Perfectionniste à tout prix
2. Celui qui veut être Altruiste à tout prix
3. Celui qui veut être Battant à tout prix
4. Celui qui veut être Romantique à tout prix
5. Celui qui veut être Observateur à tout prix
6. Celui qui veut être Loyal à tout prix
7. Celui qui veut être Épicurien à tout prix
8. Celui qui veut être Protecteur à tout prix
9. Celui qui veut être Médiateur à tout prix
Conclusion :
l’origine de ces noms semble être le nom de la fixation mentale de chacun des profils. Comme si, dès l’origine de l’ennéagramme contemporain, Ichazo, Naranjo et Palmer avaient été conscients que l’absence de mot clé pourrait amener certains à oublier la vocation première de l’ennéagramme : nous faire prendre conscience de notre travers principal et travailler dessus. En clair, tant que cet objectif premier est au coeur de l’enseignement de l’outil, peu importe le mot ou l’absence d’appellation. Pour ma part, après avoir vu de nombreux détournements de l’ennéagramme, notamment en entreprise, comme un joujou avec lequel on va s’amuser une heure ou deux, je continue à voir ces mots comme des garde-fous qui permettent de rester centrés sur le cœur du problème : en quoi suis-je excessif ?