2023, de Justine Triet,
Palme d’Or du festival de Cannes 2023, six Césars 2024 dont meilleur film et meilleure réalisation
Avec Sandra Hüller, (César meilleure actrice 2024), Swann Arlaud (César meilleur acteur dans un second rôle 2024), Milo Machado-Graner
L’histoire
Un couple, Sandra et Samuel, tous les deux écrivains, vivent à la montagne avec leur fils malvoyant de onze ans, Daniel. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête est ouverte : suicide ou homicide ? Finalement, Sandra est inculpée, le procès a lieu, le témoignage de Daniel est crucial.
Analyse du film
Ce film laisse pantois. Deux heures et demie de puissantes émotions entremêlées. C’est peut-être pour cela qu’il suscite tant d’éloges. Par moments, vous avez de l’admiration pour cette femme, pour sa résilience et sa force intérieure. Puis, vous vous demandez si elle n’est pas perverse ou malintentionnée. En tous cas, pour ceux qui aiment un scénario clair, c’est raté. Tout au long du récit, la réalisatrice vous livre des informations contradictoires sur les uns et sur les autres : le mari, la femme, l’enfant. Alors, comment qualifier ce film ? Un film sur la nature humaine ? Sur les tourments désordonnés de l’âme ? Sur la noirceur intérieure combinée avec une image sympathique ? Pas facile de répondre à cette question. Le critique de la Voix du Nord en parle ainsi : « Drame psychologique d’une richesse inouïe, où la justice n’est pas la seule à se perdre dans le vrai et le faux d’un couple usé, toxique et rancunier. »
Si on devait lui trouver un parallèle, ce serait probablement avec Garde à vue. Mais là où Garde à vue ne traite que des relations mari-femme, dans Anatomie d’une chute, il faut rajouter l’enfant. Sa place est même centrale. Face au dilemme de savoir si sa mère est coupable, il réussit à compartimenter suffisamment ses émotions pour livrer sa perspective de l’affaire. Profitez-en, ce seront les seules cinq minutes d’analyse claire du film. Avant de repartir dans le mélo des émotions des uns et des autres.
La bonne nouvelle, ce sont les acteurs : époustouflants ! C’est probablement parce qu’ils sonnent tous si juste que le film vous embarque.
Milo Machado Graner dans le rôle de l’enfant impressionne dans ses passages de douleur contenue converties à marteler les touches du piano.
De son côté, Sandra Hüller n’a pas volé son prix de la meilleure actrice aux Césars dans ce rôle dramatique et complexe.
Analyse Ennéagramme
Il ne me semble pas possible de mettre en valeur tel ou tel profil au travers de ce film. À part l’enfant, personne n’en ressort grandi. Néanmoins :
• L’avocat général, prototype du profil Six contrephobique. Au point de faire peur par moments ! Sa capacité à attaquer verbalement pour déstabiliser son interlocuteur, l’embrouiller et lui démontrer qu’il a raison est étonnante. Je retiens sa réaction quand une experte légale lui présente sa version de la chute. Il finit par lui demander si sa version à lui demeure possible alors qu’elle vient de lui démontrer le contraire. Alors qu’elle insiste : « Très peu probable », il persévère : « Oui, mais possible ? Répondez par oui ou par non. » Elle : « Comme il est possible que je devienne Présidente de la République un jour ! » Finalement, dans sa dialectique particulière, le profil Six va finir par vous faire croire que si c’est un tout petit peu possible, c’est plausible et que si c’est plausible, c’est donc la vérité. Au-delà de cet exemple, chacune des interventions de cet avocat général est imprégnée de ce côté sceptique, asticoteur, à la fois brillant et dérangeant, propre à ce profil.
• Sandra : Profil Trois
Les émotions semblent gouverner sa vie, même si le contexte est à prendre en compte. Auteure en réussite malgré sa vie de couple délabrée et la charge de son enfant malvoyant, des capacités d’adaptation alliant des incarnations de femme forte, de femme sensible, de femme troublée, de mère attentionnée, une capacité à rebondir. Mais surtout, elle adapte sa version des faits en fonction de l’interlocuteur et du moment. À chaque fois, elle paraît sincère de son point de vue (et elle l’est, probablement), sauf que cette sur-adaptabilité finit, à juste titre, par être interprétée comme incohérente tant par la police que par l’avocat général. C’est le travers du Trois : duperie-tromperie : croire que sa version émotionnelle des faits est vraie et essayer de la « vendre » comme réelle avec charme et conviction. Cela peut prêter à sourire dans certaines situations, pas dans celle-là. En tous cas, ces multiples versions finissent par desservir Sandra.
• Sandra et Samuel : Si Sandra est de Profil Trois et Samuel de Profil Quatre, le film devient plus « compréhensible ». L’intrigue tourne alors autour de deux personnes de centre cœur, fracassées par l’accident qui a coûté la vue à leur fils et leur centre cœur se met à bouillonner. Dans leurs confrontations, leurs arguments sont basés sur des éléments émotionnels plus que rationnels : amour-haine-envie-estime de soi-nostalgie-comparaison à l’autre. Le tout assaisonné à de culpabilité, de dévalorisation de soi et d’échec relationnel.
• Vincent : l’avocat de la défense, détonne dans ce contexte. Comme un cérébral sensible au milieu de ce contexte émotionnel chargé. Je propose un Profil 7 délicat qui va essayer de faire ressortir de ce mélo quelques éléments tangibles favorables à son amie/cliente. Il essaie de mettre de la logique, du rationnel dans sa présentation des faits. Et va souvent parvenir à contrer l’avocat général en intervenant rapidement lorsqu’il s’emballe dans des déductions fallacieuses.
Conclusion
Un grand moment de cinéma sur un fond troublant et dérangeant. Au final, il n’y a de récompense pour personne dans cette épreuve. Pas de vainqueur. Personne ne semble avoir grandi. Les uns et les autres ont juste survécu à cette histoire. Nous aussi. Pas envie d’aller faire la fête en sortant ! Si je devais trouver une morale, ce serait que nous possédons tous en nous-mêmes à la fois du très beau et du très obscur. Et que parfois, lorsque la vie devient tempête, il nous arrive d’être submergés de torrents d’émotions difficiles à vivre. C’est peut-être cela, finalement, la qualification de ce film : Gestion des émotions dans un drame psychologique costaud.
Mon conseil : allez-y accompagné, mieux vaut ne pas être seul à la sortie !
Bon film !