Le Troisième Homme
Film de Carol Reed, 1949
avec Orson Welles, Robert Cotten
Vienne, 1949. Appelé par son vieil ami Harry Lime qui lui propose du travail, l’écrivain américain Holly Martins débarque à Vienne. À peine arrivé, Holly apprend la mort d’Harry dans un accident de voiture et a juste le temps de se rendre à son enterrement.
L’énergie Six est partout présente, tant dans le film lui-même que dans le rôle d’Holly, le personnage principal. Le cadre, d’abord, est inquiétant. La ville est divisée en cinq zones. Quatre parties sont sous la responsabilité d’une des armées d’occupation : américaine, russe, anglaise et française, le centre ville est international. La police autrichienne compte pour du beurre et les habitants préfèrent le plus souvent se taire plutôt que d’entrer en relation avec les autorités internationales. D’un point de vue Six, la position de l’autorité n’est donc pas claire, en tout cas, loin d’être transparente et fiable. Holly ne s’y trompe pas. En écoutant la version de l’accident par le major britannique Calloway, il commence à avoir des doutes. Alors que la police a interrogé des témoins, dressé un procès-verbal de l’accident et que la version finale semble cohérente, Holly a flairé quelque chose. Bien que son ami soit mort et que rien ne le ressuscitera, Holly, plutôt que de repartir par le premier avion, va reprendre l’enquête à son compte. Il veut savoir, il veut comprendre. « Je ne peux pas m’en tenir là, voulez-vous m’aider ? » À la question : « Avez-vous des raisons de douter ?» Holly n’a rien à répondre, sinon que son intuition de Six lui dit qu’on lui cache quelque chose, que les apparences ne sont pas forcément conformes à ce qui est dissimulé derrière. Petit à petit, des indices apparaissent, qui donnent raison à sa suspicion. Les informations sont difficiles à obtenir et les différentes versions des témoins ne concordent pas. La version officielle n’est pas encore impossible, mais l’addition des faits troublants s’allonge : « Étrange que ses deux meilleurs amis aient été là, à ses côtés, à ce moment-là, et que ce soit le propre chauffeur d’Harry qui ait conduit la voiture au moment de l’accident… » « Pourquoi transporter le corps de l’autre côté de la rue, alors qu’il aurait été plus simple de l’emmener dans sa maison ? » Holly devient certain qu’il a soulevé un lièvre quand le concierge lui parle du troisième homme qui a aidé à transporter le corps : « Un troisième homme qui n’a pas levé la tête, qui ressemblait à Monsieur tout le monde et qui n’a pas témoigné lors du procès. » Alors, le Six est en chasse : « Je vais éclaircir cette histoire ! » Le fait qu’on l’alarme plusieurs fois sur sa sécurité ne va pas affaiblir sa détermination : « J’ai besoin d’avoir le fin mot de l’histoire. » Le film s’accélère : surprises imprévues, fausses accusations, leurres. Holly est en danger, poursuivi, accusé de meurtre. Le suspense s’accroît, l’inquiétude aussi. Brouillard, clairs-obscurs. En tant que spectateur, on croit voir, mais on n’est pas sûr d’avoir vu. Les ombres se profilent sur les murs. Même le sol ne semble pas être toujours sur le même plan: rues en pente, marches, éboulis reliant les différents niveaux. Les questions s’entremêlent et on ne sait plus en qui avoir confiance. Pas plus qu’Holly : « Quel genre d’espion êtes-vous ? Pourquoi me suivez-vous ? Montrez-vous ? Mettez-vous dans la lumière ! » Autre indice de Six, le thème de l’amitié opposé à celui de la trahison. Ayant découvert que son ancien ami était un criminel, Holly va finalement décider de renier cette amitié, alors que son ancienne compagne, elle, va préférer rester fidèle à la relation qu’elle entretenait avec lui : « Pourquoi faudrait-il que je le trahisse ? J’ai aimé ce que j’ai vécu avec lui. » La dernière scène du film est tout aussi éloquente sur le profil Six. Le bourreau est devenu victime : il fait face à la meute, tout seul, au point que l’on aurait presque envie de le protéger. Poursuites, dangers, regards scrutateurs. Il est devenu une cible et, dès qu’il sera visible, il sera abattu. Finalement, on le verra debout, tout seul, entendant les bruits des pas de ses poursuivants qui se rapprochent, une lueur de bête traquée dans le regard, hésitant entre plusieurs passages pour s’échapper. Cette sensation de victime, seule face à un monde hostile est fréquente en Six. Quant au thème de la survie, il est également présent partout, dans ce film. Holly est seul et le territoire lui-même évoque la survie : chaos, ville en ruine, manque de nourriture et de chauffage.