Le Prénom
Film d’Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, 2012
avec Patrick Bruel, Valérie Benguigui, Charles Berling, Guillaume de Tonquédec, Judith El Zein
L’histoire (Allociné)
Vincent, la quarantaine triomphante, va être père pour la première fois. Invité à dîner chez Élisabeth et Pierre, sa sœur et son beau-frère, il y retrouve Claude, un ami d’enfance.
En attendant l’arrivée d’Anna, sa jeune épouse, on le presse de questions sur sa future paternité dans la bonne humeur générale… Mais quand on demande à Vincent s’il a déjà choisi un prénom pour l’enfant à naître, sa réponse plonge la famille dans le chaos.
Analyse Ennéagramme
Cette pièce de théâtre, convertie en film, est un véritable trésor pour les aficionados de l’Ennéagramme. Cinq personnes, toutes assez « typiques », se retrouvent à un dîner, dans une ambiance détendue par moments, oppressante à d’autres, qui va mettre en valeur les bons et les moins bons côtés de ces cinq structures de caractère. Je vous épargnerai les interactions entre les personnages, pour mieux nous concentrer sur chacun d’eux, individuellement.
Type Six, sous-type tête-à-tête
Le premier, Vincent, incarné par Patrick Bruel est une merveille de Six tête-à-tête. Quand on ne connaît que les types de l’Ennéagramme, le type Six est certainement le plus difficile à repérer. Avec les sous-types, cela devient plus facile. Le Six, en effet a trois stratagèmes à sa disposition pour camoufler, diffuser et gérer sa peur : la gentillesse chaleureuse, le sens du devoir et, comme ici, le fameux mix Force-Beauté. Il s’agit, avant tout, de combiner le charme du tête-à-tête, une forme de séduction délicate, avec une moulinette intellectuelle en éveil. Ici, Patrick Bruel va faire étalage de ce mélange de charme et de sens de l’humour aiguisé, que l’on appelle humour noir, et qui sert à déstabiliser l’environnement par des joutes intellectuelles sur des thèmes qui fâchent. En clair, créer de la fâcherie à l’extérieur permet de contrôler la situation intellectuellement et de se sentir en sécurité à l’intérieur. Claudio Naranjo surnomme d’ailleurs parfois ce profil « L’accusateur ». Dans Le Prénom, Patrick Bruel va faire croire qu’il a choisi, pour son futur enfant, un prénom à controverses. Sûr de la susceptibilité des autres invités, il a vu juste : c’est un tollé général, une bagarre verbale intense. Mais ça ne s’arrête pas là, emporté par son élan, il va remettre de l’huile sur le feu en envoyant d’autres piques acérées qui vont contribuer à déstabiliser son entourage.
Type Deux sous-type survie
Valérie Benguigui incarne pour sa part le rôle de la sœur, Elisabeth, type Deux sous-type survie qui va nus montrer d’un côté son altruisme ménager, avec toute la palette des ingrédients du sous-type survie et, de l’autre côté, va nous faire une scène d’hystérie typique de ce profil. L’intérêt pour nous, c’est qu’elle ne se laisse pas déborder par son hystérie, mais garde la tête suffisamment claire pour lancer une tirade où tout y est : moult situations de sa vie où elle s’est dévouée pour son frère et son mari, acceptant de sacrifier ses envies, sa carrière, ses centres d’intérêt au profit du mieux-être de son frère d’abord, puis de son époux, ensuite. Cette scène est un cas d’école en terme de « Moi d’abord », mots clés de ce sous-type, symboles de la revendication des « pardon », des « mercis » ou des « s’il te plaît », à titre de compensation minimum pour services rendus.
Type Cinq sous-type social
Charles Berling incarne le rôle de Pierre, le beau-frère, type Cinq en social, que l’on accuse d’être avare, pingre, de s’isoler dans sa chambre, de s’intéresser plus à ses livres qu’à sa femme et à ses enfants, qui a des références culturelles immenses et qui remet un événement dans un contexte plus large. S’habiller et se nourrir semble moins importants que de parler culture ou de penser à des choses intellectuellement riches.
Type Neuf sous-type tête-à-tête
Guillaume de Tonquédec, alias Claude, l’ami d’enfance, est un rôle de Neuf tête-à-tête, qui s’anime davantage dans ce mode de relation que dans un groupe plus large, qui devient même facilement complice dans l’intimité du tête-à-tête, qui ne parle jamais de lui tellement il écoute bien les autres, qui essaie de ne pas prendre parti, de ne pas exprimer son point de vue, mais qui est disponible pour écouter l’un ou l’autre quand il en a besoin. On l’accuse de ne rien savoir de lui tellement il préfère être vecteur d’une bonne ambiance plutôt que de s’exprimer sur lui-même. Détenteur d’un secret depuis des années, il n’a pas osé aborder le sujet avec ses amis d’enfance, de peur de provoquer un conflit. Mis en devoir de prendre la parole pour en parler, il demeure coi pendant de longues secondes, conscient de la houle qui ne manquera pas de se déchainer une fois la chose dite. Être le vecteur d’un conflit est clairement le pire moment de son existence. Et d’avoir tant attendu pour essayer de l’éviter va évidemment renforcer l’ampleur du tsunami.
Type Un sous-type social
Judith El Zein, joue le rôle d’Anna, la femme de Patrick Bruel, type Un sociale. Elle se montre « Inadaptable » à plusieurs occasions. Je décide du prénom de mon fils. Point final. Personne n’a à me demander des comptes ou à remettre mon choix en question et surtout pas des personnes qui ont donné à leurs enfants des prénoms comme les vôtres… Et pan ! Si le Un contrôle le plus souvent sa colère, quand elle sort, c’est souvent sous forme de missiles d’une rare violence. Ici, inutile de vous dire que le moment qui suit est empreint d’un silence pesant. Mais le Un demeure droit dans ses bottes : puisqu’il croit en ce qu’il a dit, aucune raison de s’excuser. Après tout, ce n’est que l’expression de sa vérité.
Plus tard, vu le comportement de son mari dans la soirée, il a droit à : tu as fauté, tu payes : trouves-toi un canapé quelque part pour cette nuit et ne reviens que demain matin. Si le bon côté de ce profil se trouve dans sa détermination jusqu’au boutiste pour la cause à laquelle il adhère, le corollaire s’exprime par cette sévérité drastique envers les fautes commises par l’autre. Dans ce rôle, en plus de plusieurs manifestations verbales bien marquées, le non verbal est également édifiant : on est clairement dans une énergie corporelle, avec la colère bien présente dans le ventre, qui macère plus ou moins sous contrôle, en explosant par à coups, à chaque fois que la dignité ou la bienséance ont été bousculées.
Conclusion : le huis clos accroît l’intensité émotionnelle : tant dans les moments de bien-être qui permettent de voir l’expression des types dans leur forme détendue, que dans les moments de tension, où l’atmosphère oppressée fait sauter la carapace habituelle des types et nous offre l’autre polarité de chaque profil. Exemple : nous allons voir le type Neuf tour à tour dans son jeu habituel de gentil qui ne prend pas parti, et aussi dans une explosion de colère quand finalement il ose prendre sa place.
Le film offre ainsi des moments jubilatoires, quand l’authenticité s’étoffe de densité. Caustique, voire acide, il est également dérangeant, à recevoir ce déchaînement de vérités exprimées crûment, voire cruellement. En tous cas, en terme d’analyse de la nature humaine, chapeau bas à l’auteur de la pièce ! Bon film !